CHEZ HIVENTY CLASSICS

Benjamin ALIMI, Directeur d’Hiventy Classics dans un entretien à Coin De Mire Cinéma nous livre le quotidien de son équipe spécialisée dans le développement de la pellicule cinéma et la restauration de films.

 

Pourriez-vous nous parler tout d'abord de votre lieu de travail à Joinville-le-Pont, un lieu bien emblématique dans le milieu du cinéma ?

Au sein du groupe Hiventy, notre laboratoire de Joinville-le-Pont est un site pour le moins atypique. Sans doute parce qu’il est installé sur un lieu centenaire, “La Cité du cinéma”, la première nommée ainsi, celle où les usines Pathé furent construites en 1906. Un lieu historique qui porte avec lui l’histoire du septième art, qui a connu sur son sol des légendes comme Charles Pathé, Bernard Natan, où étaient en activité le laboratoire GTC de 1947 jusqu’au début des années 2000, ainsi que de nombreux producteurs ou réalisateurs qui y ont élu domicile. Un lieu à l’architecture Eiffel, qui a peu changé de l’extérieur malgré les années, qui a su se moderniser tout en gardant son identité. Autour de notre laboratoire se sont installées des sociétés sans lien avec notre secteur d’activité. Désormais, Hiventy est le dernier bastion du cinéma sur le site. De quoi renforcer notre volonté de faire perdurer notre présence.


Quelles sont vos activités sur place en 2022 ? 

Nous menons à Joinville deux activités : la restauration de films de patrimoine et le développement de rushes pour le cinéma. Le cinéma numérique s’est imposé depuis le début des années 2000 à la fois sur les tournages et dans les cabines de projection. Cela a révolutionné le secteur des industries techniques qui a vu de nombreux laboratoires disparaitre ou se restructurer. Le pixel a pris le pas sur le grain d’argent et pourtant, le point commun à toutes nos activités demeure la pellicule. Celle d’hier et d’aujourd’hui. Quelle soit en nitrate, en acétate ou en polyester, en noir et blanc ou en couleur, en 16MM ou en 35MM, à Joinville tout tourne autour d’elle : les nouveaux films tournés en pellicule, les anciens films que l’on restaure d’après la pellicule, ceux que l’on transfère sur pellicule pour leur préservation. Toute mon équipe a individuellement un lien très fort avec ce support, un lien qui relève du professionnel mais aussi de l’intime. Et puis travailler sur ce support qui s’est tant raréfié fait prendre conscience à la fois de la fragilité et de la force d’un laboratoire argentique en 2022. La pellicule n’est techniquement pas encore dépassée, que ce soit en termes de résolution ou d’espace colorimétrique. Elle est toujours plébiscitée par les plus grands réalisateurs, de Wes Anderson à Quentin Tarantino en passant par Christopher Nolan. Quant à ses capacités de conservation, elles sont jusqu’à preuve du contraire les plus fiables à long terme. Pour nous, il ne s’agit pas d’opposer le numérique à l’argentique. Mais au contraire de montrer à quel point ces deux univers sont complémentaires et combien les faire dialoguer peut être enrichissant.

Pourriez-vous nous décrire le quotidien de votre équipe ?
 
Cette semaine, plusieurs projets sont en cours, comme le nouveau film en tournage de Philippe Garrel, dont nous développons les rushes argentiques, la remise en état du négatif de “L’homme de Rio » de Philippe de Broca, film dont nous commençons la restauration pour TF1 Studio, OCS et Coin de mire cinéma, ou encore le traitement d’une publicité Nike Air tournée en 35MM.

La journée du laboratoire commence aux aurores : dès 6 heures du matin, notre vaillante équipe de développeurs arrive. Comme les a surnommé Mathieu Kassovitz lors d’une visite chez nous, ils sont le “dernier rempart”. Ils passent par la loge du gardien afin de récupérer les rushes tournés la veille en pellicule. Les bobines doivent être ouvertes en chambre noire, dans l’obscurité la plus totale, afin d’être chargées sur les développeuses. La pellicule passe ensuite dans différents bains, contrôlés méticuleusement par Saïd, le responsable du laboratoire qui était ingénieur chimiste avant de travailler dans le cinéma. Lors de ce moment sacré qu’est le développement, l’image latente se révèle enfin. Puis nous amorçons les bobines développées, les assemblons en de plus grosses bobines, afin de les numériser dans les meilleures conditions.
 
Le scan s’apprête à démarrer, il est 9 heures. Cette étape est sans doute la plus attendue car elle permettra à toute l’équipe de tournage de voir les images tournées la veille et de s'assurer qu’il ne faut pas retourner de plans. Une journée de décalage, cela peut paraître long dans un monde numérique où l’instantanéité prédomine, mais c’est comme ça que le cinéma se fait depuis plus de 120 ans.Ces dernières années ont été ponctuées par plusieurs départs à la retraite. Reste José qui est le gardien du temple. C’est le plus ancien sur le site puisqu’il y travaille depuis qu’il a 16 ans. Il a gravi les échelons et connaît à peu près tout sur la pellicule après 40 ans de métier. Aujourd’hui il supervise les travaux d’archives les plus complexes, dont le fameux procédé Desmet qui consiste à reproduire des teintes et virages d’époque dans une filière analogique. Depuis, le laboratoire a su accueillir une nouvelle génération de jeunes passionnés de techniques cinématographiques. Ils sont au cœur de notre enjeu de transmission de savoir-faire et font pour la plupart partie de l’équipe de la « REM », la remise en état mécanique de pellicule. L'équipe de la REM arrive en même temps que celle du scan. Elle est spécialisée dans l’expertise et la réparation de pellicule ancienne. Le travail de ces techniciens est extrêmement méticuleux car ils ont régulièrement entre leurs mains des négatifs originaux d’une valeur inestimable. Il exige une dextérité similaire à celle nécessaire dans la haute-couture. “La Règle du jeu”, “La femme du boulanger”, “Le salaire de la peur’, “Baisers volés”, voici quelques exemples de films qui sont passés entre leurs mains. Aujourd’hui c’est donc “L’homme de Rio” qui passe sur la table d’opération. Le négatif, de marque Kodak, en 1,66,  présente de nombreux photogrammes manquants à plusieurs endroits. Le retrait moyen est de 0.44%, ce qui se traduit par une rétractation de la pellicule à certains endroits. Les bobines sont parfois légèrement collées sur elles-mêmes sans pour autant être collantes au toucher. Mais le défaut le plus important s’avère être un nombre important de rayures sur les côtés support et émulsion, allant de très fines à fortes.
 
10 heures du matin. Sur notre site de Boulogne-Billancourt, se déroulent toutes les activités liées à la restauration numérique. L’infrastructure est reliée par fibre noire au site de Joinville. Christelle, technicienne experte, règle des filtres sur un film de 1927 confié par la Cinémathèque française. Sa concentration est telle qu’elle semble plongée dans les images. Son objectif : restaurer les défauts liés à l’usure du temps sans détériorer le grain ni la texture de l’image. Son secret : toujours mettre en perspective l’image d’avant et celle d’après pour rester sur le droit chemin déontologique. Le paradoxe d’une bonne restauration est qu’elle se doit d’être invisible et naturelle. Plus il y a de travail, moins il se voit ! Aymeric, notre ingénieur du son, peaufine dans son auditorium le son restauré de « Gandahar », film d’animation de René Laloux qui sera présenté au festival d’Annecy. Avec différents plugins, il redonne au son, issu d’un magnétique 35MM, sa couleur d’origine. Le souffle, l’intelligibilité des dialogues, les « clics », les « plops », tels sont les aspects qu’il corrige avec attention. En restauration, on parle souvent de l’image, alors que le son est tout aussi important. Dans la salle d’à côté, Olivier vérifie sur grand écran un DCP que nous venons de fabriquer. Son regard pointu de technicien expérimenté est renforcé par son œil de cinéphile et toutes les références cinématographiques qu’il a en tête. Il relève les éventuels défauts résiduels que nous traiterons si nécessaire. Quelques mètres plus loin, Pauline projette sur son écran d’étalonnage une copie 35MM de référence d’un film de Jacques Rivette qu’elle est en train d’étalonner, afin d'obtenir une version numérique 4K proche de la photographie de la copie d’exploitation d’origine.Retour à Joinville où cet après-midi, nous avons la visite de Renato Berta, le directeur de la photographie de Philippe Garrel, qui vient visionner ses rushes. Il nous a demandé de procéder à des tirages positifs en parallèle aux scans, de manière à pouvoir visionner les images tournées en 35MM et de profiter pleinement du rendu argentique, même si la post-production se poursuivra en numérique.
 
Il est près de 15 heures et nous devons mettre en ligne les images de la publicité Nike afin que le producteur puisse les télécharger. Après les scans, il faut appliquer aux images un pré-étalonnage qui donnera les grandes lignes du look final puis procéder à de nombreux transcodages. Il est temps de lancer le scan du film « L’homme de Rio ». Comme nous avons constaté de nombreuses rayures sur le côté support de la pellicule, nous avons décidé de scanner le négatif en immersion : la pellicule est photographiée image par image alors qu’elle est immergée dans un liquide, le perchloréthylène, qui a le même indice de réfraction que la pellicule et bouche les rayures le temps de leur photographie. Cela permet d’optimiser la captation tout en diminuant à posteriori le nombre d’heures passées sur nos logiciels de restauration à la palette graphique.
 
16 heures. Audrey, qui supervise le suivi de l’ensemble des projets du laboratoire, pilote de Joinville une réunion “Workflow” en visioconférence avec l’équipe de Boulogne pour “L’homme de Rio”. Audrey est en contact avec tous nos clients et fait le lien entre leurs demandes et nos équipes techniques. Cela nécessite de véritables capacités d’organisation, d’écoute, de pédagogie et des litres de café. Le Covid nous a donné l’habitude de travailler malgré la distance, même si nous privilégions les réunions en présentiel. Toute l’équipe est réunie, Thierry, le directeur d’exploitation, Rodolphe, le responsable de la restauration et Jérôme, l’étalonneur du film. Le film va être édité en Blu Ray Dolby Vision, mais comme de nombreuses versions doivent également être fabriquées, nous devons étalonner, c’est-à-dire travailler la colorimétrie du film, dans la chaîne la plus cohérente. Après une longue discussion, nous commencerons par l’étalonnage HDR (High Dynamic Range) qui présente l’espace colorimétrique le plus vaste et qui sera visible sur les téléviseurs HDR, pour ensuite redescendre sur un étalonnage DCI P3, propre à la projection en salle de cinéma et enfin Rec709, adapté au visionnage sur moniteur standard. Pour chaque média doit correspondre un étalonnage proche de ses caractéristiques. L’enjeu de notre travail, c’est de rester fidèle à l’aspect visuel de l’œuvre d’origine, tout en la rendant compatible à des technologies qui n’existaient pas à l’époque de sa sortie.
 
17 heures 30. La journée se termine par la visite d’un grand réalisateur brésilien qui prépare son nouveau long-métrage, co-produit avec la France. Il “cherche” son image. Aussi, il a tourné des essais sur différentes caméras argentiques et numériques, couplées à différentes optiques, avec différentes émulsions, sous différentes lumières. Une projection est organisée avec son directeur de la photographie pour analyser la texture de l’image, le grain, le rendu des peaux, l’aspect des hautes et des basses lumières.
 
Le soleil se couche mais les entendre commenter les images de manière aussi précise est en soi une véritable leçon de cinéma à laquelle nous nous sentons privilégiés d’assister. A l’issue de la projection, le réalisateur décide de tourner d’autres essais qu’il va falloir développer à nouveau. De quoi nous donner de nouveaux défis pour demain...

Benjamin Alimi, mai 2022.

Passionné de cinéma, Benjamin Alimi détient une solide expérience dans le secteur de la restauration de films, de la photochimie et des archives. Après des études supérieures de commerce, il a débuté sa carrière sur le site de Joinville-le-Pont en 2001 chez Titra Film, avant d’exercer la fonction de Responsable Technique chez UGC International puis TF1 Droits Audiovisuels. Il a rejoint le groupe Hiventy en 2013 et dirige les activités de restauration, de préservation et de post-production argentique sur les sites de Joinville et de Boulogne Billancourt.