PETITE HISTOIRE DES CINEMAS DE QUARTIERS
Axel Huyghe, passionné par l'architecture et l'Histoire des cinémas nous raconte l'Histoire des petites salles parisiennes. Ils illuminaient les rues et les avenues parisiennes avec leurs devantures éclairées, leurs néons et leurs grands panneaux peints par Publi-Décor illustrant les vedettes du film à l’affiche.
Ils attiraient en journée – massivement le jeudi, jour de congés des enfants, et le dimanche - les familles.
A la nuit tombante, les amis de sortie ou les amoureux s’y donnaient rendez-vous. Des couples s’y sont formés dans l’obscurité, d’autres – pas toujours légitimes - s’y sont abrités…
Il n’est pas si loin le temps où les cinémas de quartier formaient l’une des étapes obligées de toute vie parisienne qui se respecte, entre un verre au café du coin, une pièce de boucher et ses frites dans l’une des grandes brasseries et, pourquoi pas, un ultime breuvage dans l’un des cabarets de la Rive gauche ou de Pigalle...
L'âge d'or
Durant l’Âge d’or des salles de cinéma – période qui s’étale dès les années 1920 jusqu’à la fin des années 1950 - on compte à Paris des centaines d’écrans, implantés dans tous les quartiers de la capitale, même à sa périphérie et en banlieue.
Grâce au succès fulgurant du cinématographe au début du siècle dernier, les cinémas de quartier ouvrent ainsi en nombre, parfois dans d’anciens théâtres reconvertis. Rideaux rouges, dorures, orchestre, balcons, quelquefois loges et baignoires… C’est bien l’héritage de la salle de théâtre qui transparaît dans les cinémas où, avant « le grand film », toute une série d’attractions scéniques issues du spectacle (chanteurs, musiciens, comiques troupiers ou prestidigitateurs) complètent le programme. S’ajoutent les actualités filmées (Pathé-Journal dès 1909 puis Gaumont-Actualités et Éclair-Journal deux ans plus tard) qui informent en images sur les nouvelles du monde.
A l’ombre des grands « palais du cinéma » comme le Gaumont-Palace avec ses 5000 fauteuils répertoriés dans les années 1930, le Louxor du quartier Barbès construit en 1921, le Rex en 1932 ou l’Eldorado en 1933, une kyrielle de petites salles de quartier assurent l’expansion de l’exploitation cinématographique qui, avec l’arrivée du parlant à la fin des années 1920, explose.
Des salles de quartier, classifiées A, B ou C sont créées par des entrepreneurs venus de tous les horizons et assurent les « secondes exclusivités » les « sorties générales » ainsi que des reprises.
Il faut rappeler que les nouveautés sont, et ce jusque dans les années 1970, l’apanage des prestigieuses « salles d’exclusivités » – au nombre restreint - comme le Madeleine, le Colisée sur les Champs-Elysées, l’Aubert-Palace ou le Paramount du boulevard des Capucines – un ancien théâtre reconverti en cinéma.
Les cinémas de quartier n’obtiennent jamais les premières exclusivités et se contentent – non sans succès - de prolonger à l’échelle locale de leur quartier les nombreuses productions d’avant-guerre, principalement hexagonales ou américaines.
Le Monge-Palace, le Danton-Palace, le Marcadet-Palace, le Ternes-Cinéma, le Pereire-Palace, le Clichy-Palace, le Convention, le Gambetta-Palace, le Kursaal, le Regina Aubert-Palace, le Parisiana, le Spendid, le Voltaire, le Récamier, l’Ornano, le Ménil-Palace, le Palais des Fêtes, le Cinéma du Panthéon… Tant de salles de quartier qui, plusieurs semaines voire plusieurs mois après leurs sorties, affichent ainsi des secondes exclusivités ou des sorties générales.
En cette période où le cinéma est encore muet, la pellicule est parfois mise en musique par un orchestre ou un orgue installé dans la salle,
à l’instar de l’Olympia ou du prestigieux Gaumont-Palace avec son célèbre orgue Cavaillé-Col, mais également dans les cinémas de quartier comme le Monge-Palace ou le Montrouge-Palace du quartier Alésia.
Les spectateurs découvrent les serials - films à épisodes ou ciné-romans –
comme Le Fils du Flibustier de Louis Feuillade ainsi que des productions plus ambitieuses comme L’Atlantide de Jacques Feyder (1923) avec la belle Stacia Napierkowska dans le rôle de la Reine Antinea, sorti au Gaumont-Palace et au Madeleine puis prolongé dans les cinémas de quartier de la capitale.
Avec le système de première ou seconde exclusivité, le prix du ticket varie d’une catégorie de salle à l’autre.
Et l’héritage du théâtre fait que les salles affichent un tarif différent qu’on soit placé dans un fauteuil de première ou seconde série, installé au balcon, dans les loges ou à l’orchestre.
A titre d’exemple, pour la sortie en 1923 du film d’aventures Robin des Bois d’Allan Dwan avec Douglas Fairbanks dans le rôle-titre, il vous coûte entre 1,50 et 2,75 francs pour le voir dans la salle de quartier du cinéma Saint-Michel – une des salles historiques de Paris toujours en activité - alors que, quelques mois plus tôt pour sa sortie en exclusivité, il fallait débourser entre 3 et 7 francs au Max Linder, entre 4 et 9 francs au Colisée ou encore entre 5 et 15 francs pour la séance à l’Aubert-Palace !
Le premier film sonore, Le Chanteur de jazz d’Alan Crosland, est inauguré en France le 25 janvier 1929 sur l’écran de la prestigieuse salle d’exclusivité de l’Aubert-Palace sur les Grands boulevards, avant d’être repris dans les salles de quartier.
Avec l’avènement du parlant, de nouvelles salles de quartiers sont inaugurées : le Royal-Passy en 1930, le Victor-Hugo Pathé en 1931, le Saint-Lambert et le Balzac en 1935, les Portiques et le Champo en 1938…
Le cinéma confirme qu’il est - et ce depuis ses débuts - le premier loisir de masse convoité aussi bien par les classes populaires que la bourgeoisie. Le cinéma d’avant-garde, lui, a déjà ses lieux de prédilection comme le Studio 28 ou le Studio des Ursulines.
La guerre
La guerre n’a pas freiné le désir de cinéma des spectateurs parisiens, malgré une courte période de fermeture des salles, la mise en place d’un couvre-feu sous l’Occupation et des restrictions d’électricité.
Face à la pénurie de films nouveaux, les écrans parisiens programment des reprises tournées avant-guerre, quelques nouvelles productions hexagonales, certaines produites par la Continental Films aux capitaux allemands et, bientôt, des films allemands dont le film de propagande Le Juif Süss de Veit Harlan, distribué en juin 1941 dans près d’une trentaine de cinémas de quartier à Paris et en banlieue.
Battement de cœur de Henri Decoin avec la jeune Danielle Darrieux (1941), La Fille du puisatier de Marcel Pagnol avec Raimu et Fernandel (1941), Madame Sans-Gêne de Roger Richebé avec Arletty (1942), Remorques de Jean Grémillon avec Jean Gabin et Michèle Morgan (1942), Le Voile bleu (1942) de Jean Stelli avec Gaby Morlay ou Pontcarral, colonel d’Empire (1942) de Jean Delannoy avec Pierre Blanchar sont parmi les grand succès du cinéma français pendant la guerre.
Après-guerre, toute la production américaine invisible sous l’Occupation déferle sur les écrans de la capitale
Tourné en 1939, Autant en emporte le vent de Victor Fleming n’arrive qu’à partir de 1953 dans quelques salles de quartier avant d’être programmé début 1956 sur de nombreux écrans de la capitale. La première exclusivité est assurée en 1950 dans deux salles seulement, le Biarritz sur les Champs-Elysées puis le Rex.
En 1950, Paris compte quelques 400 cinémas,
dont une quarantaine de salles d’exclusivités principalement sur les Champs-Elysées et les Grands boulevards.
C’est l’Âge d’or des salles parisiennes où le western, le film d’aventures, le policier et les comédies ont les faveurs des spectateurs qui ovationnent le cinéma français avec des films comme Antoine et Antoinette de Jacques Becker (1947), Monsieur Vincent de Maurice Cloche avec Pierre Fresnay (1948) ou Topaze – la nouvelle adaptation de Marcel Pagnol de sa propre pièce – avec Fernandel le 21 mars 1951.
Le film de cape et d’épée Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque avec Gérard Philipe (1952) – immense succès public avec près de 2 millions de spectateurs à Paris - fait la joie des familles.
Les années 1950 consacrent les grandes vedettes françaises à l’affiche des salles de quartier, dont les nombreux films avec Jean Gabin qui, après avoir incarné le jeune premier avant-guerre, devient le patriarche du cinéma hexagonal.
Chaque salle de quartier possède sa spécificité et, parfois, une programmation qui lui est propre, notamment avec les films de genre prisés par une clientèle populaire
Le Trianon se spécialise bientôt dans le Kung-fu, le Barbès-Palace accueille une population immigrée avec des films égyptiens et le Brady font la part belle aux vampires. Certaines salles comme le Bikini, spécialiste du western, décident bientôt de basculer leur programmation vers les films érotiques et pornographiques même si la loi de 1976 taxe lourdement les établissements « X ».
La vague des fermetures
Dès le début des années 1960 s’amorce une vague de fermeture d’établissements vétustes ou en manque de programmation attractive, à un moment où la télévision remplace peu à peu le loisir de proximité qu’est la salle de quartier.
Une tendance voit cependant un renouveau de salles, principalement dans le Quartier latin où, entre 1955 et 1975, une vingtaine de cinémas ouvrent.
Ces salles, de petites tailles, inaugurent la cinéphilie et poursuivent le travail des ciné-clubs, notamment auprès de la population étudiante
Le « cinéma d’Essai » est d’abord lancé aux Reflets de la rue Champollion et permet à des films difficiles ou engagés d’exister.
Le Saint-Germain Studio en 1960, les Saint-Germain Huchette et Saint-Germain Village en 1967, les Studio Alpha et Studio de la Harpe en 1966, le Styx - spécialiste du film d’horreur et d’épouvante - en 1968, le Saint-André des Arts en 1971…
Autant de salles du Quartier latin qui accueillent, en exclusivité, une production étrangère ou une cinématographie indépendante
C’est également à quelques encablures de là que naît en 1966 le premier complexe multisalles du quartier, les Trois Luxembourg.
Durant les années 1970 et 1980, les salles de quartier périclitent lentement
La désaffection du public ainsi que la suppression des salles de première exclusivité au profit d’une diffusion massive sur tous les écrans accélèrent ce phénomène d’érosion du parc de salles.
Les propriétaires décident, au mieux, de transformer leurs salles mono-écran en multisalles, avec parfois des écrans au format en mouchoir de poche, au pire de les céder à des promoteurs sans scrupules.
Elles sont détruites, comme c’est le cas dans l’indifférence générale du Gaumont-Palace en 1972, ou transformées en surfaces commerciales comme le Delambre, le Secrétan, les Tourelles ou l’Ornano.
Période noire pour les salles parisiennes, la décennie 1980 voit près de 150 salles baisser définitivement leurs rideaux.
Aujourd'hui
La salle de quartier, à l’heure où le commerce de proximité semble enfin regagner le cœur des citadins, a encore son mot à dire aujourd’hui
Qui peut définitivement remplacer la chaleur des salles comme le Mac-Mahon, le Club de l'Étoile, le Balzac, les 3 Lincoln, l’Escurial, le Studio 28, le Nouvel Odéon, l’Ecole Cinéma Club, la Filmothèque, le Christine Cinéma Club, le Grand Action, le Studio Galande, le Reflet Médicis, l’Epée de bois, l’Archipel, le Brady, le Luminor, les 5 Caumartin, le Denfert, les 7 Parnassiens, le Bretagne, le Mk2 Parnasse, le Majestic Bastille, le Majestic Passy… où le partage et l’émotion collective consacrent le 7è Art ?
Axel Huyghe
Salles-cinema.com
Axel Huyghe, créateur du site salles-cinema.com, est cinéphile, collectionneur et passionné par l'architecture et l'histoire des cinémas. Il est l'auteur, avec le photographe Arnaud Chapuy, du livre Rytmann, l'aventure d'un exploitant de cinémas à Montparnasse (éditions L'Harmattan, 2021) dont la préface est signée Claude Lelouch.